"On a parfois décrit la T.S.F.
comme la télégraphie de l'étincelle (Funken, spark)
[...]. Ce qui est décrit ici peut vraiment être considéré
comme la télégraphie sans étincelles".
Ferdinand Braun concluait ainsi son discours lors de la remise du prix
Nobel à Stockholm. Aujourd'hui, si les étincelles n'éclairent
pas nos foyers lors d'un coup de téléphone, si une douce
odeur d'ozone n'est pas caractéristique d'une transmission à
distance, c'est grâce à cet inventeur scientifique.
Et pourtant, exit le découvreur
d'un siècle passé, à la destinée inconnue.
Ferdinand Braun n'a jamais été et ne sera jamais le héros
du siècle: seules quelques médailles, deux ou trois écoles
et un musée (le Deutsches Museum de Munich) célèbrent
son nom, plus pour l'invention du tube cathodique que pour la T.S.F. d'ailleurs.
L'inventeur du détecteur à galène, du circuit accordé,
présent aujourd'hui dans à peu près tous les circuits
électroniques, est oublié, déchu de son rôle
de héros social. Pourquoi ?
Au début du siècle, la T.S.F. prend un essor extrêmement rapide; les distances que les communications parcourent augmentent, la technologie change rapidement - bientôt, il est possible d'émettre et de recevoir la parole, puis l'écrit en adaptant la T.S.F. à cette nouvelle technologie - les émetteurs-récepteurs sont de plus en plus utilisés, surtout dans les médias, les voyages transatlantiques et les armées. Les batailles de brevets font rage, les grandes puissances économiques désirent acquérir la pérennité des inventions liées à ce nouveau moyen de communication. A la veille de la première guerre mondiale, des procès retentissants éclatent, dont un des plus célèbres reste celui dirigé contre la société Marconi Co, suite à l'accident du Titanic.
En 1914 arrivent les prémices
de la première guerre mondiale: l'Amérique voit d'un mauvais
oeil les émissions allemandes sur son propre territoir. Il serait
bon de pouvoir interdire aux compagnies germaniques l'accés au marché
américain. Sans compter les problèmes d'espionnage, qui font
les choux gras de la presse, et de la paranoïa ambiante. Pour des
raisons de brevets, un procès éclate visant à interdire
le droit d'émission et de réception à des compagnies
allemandes. Ferdinand Braun est désigné comme expert dans
ce procès et quitte Strasbourg pour New York, contre sa volonté.
En effet, il était reconnu et admiré à cette époque
pour ses travaux sur la télégraphie sans fil.
Puis, la guerre éclate.
Les procès durent environ deux ans, période trés peu
connue de la vie de Ferdinand Braun. En 1917, les Etats-Unis entrent en
guerre, et notre héros est assigné à résidence.
Etranger en terre hostile, il ne peut rentrer en Allemagne: c'est l'exil.
Sa vie et son oeuvre s'achèvent à New York en 1918.
Ironie du sort, il meurt au plus
mauvais moment de l'histoire. La fin de la première guerre mondiale
voit l'Alsace et sa capitale, Strasbourg, retourner à la France.
Les sujets de recherche de l'Institut de physique (l'électronique
et la physique des hautes fréquences) sont remplacés. L'université
de Strasbourg, dont il fut le recteur, l'Institut de physique dont il était
le directeur, n'allaient pas commémorer un allemand. En Allemagne,
on avait d'autres chats à fouetter. La défaite avait transformé
les universités allemandes, et il y avait plus d'efforts à
fournir pour restructurer le monde de la recherche allemande qu'à
commémorer les génies d'un autre siècle, aussi grands
soient-ils ! Ferdinand Braun tombe dans les limbes de l'oubli et n'en resurgira
qu'au milieu des années 60, lorsque les tubes cathodiques seront
de plus en plus utilisés, à la fois pour l'électronique,
et surtout pour la télévision.
F. Braun à New-York
Aujourd'hui
Il est étonnant de voir comment
les découvertes d'un homme peuvent se résumer à peu
de choses. La radio, cette fameuse T.S.F. aurait bien sûr vu le jour
sans lui, mais cette radio que nous connaissons aujourd'hui ne serait peut-être
pas la même si Ferdinand Braun n'avait pas existé. C'est grâce
à lui que l'ancêtre de la télévision, le tube
cathodique, existe aujourd'hui et c'est grâce à lui qu'il
nous est possible de choisir l'émission de radio ou de télévision
que nous voulons visionner, grâce au tuner. C'est le premier qui
a utilisé la galène, c'est-à-dire une petite diode,
dans des circuits électroniques.
Pourtant, malgré toutes
ces découvertes, malgré son prix Nobel, Ferdinand Braun est
aujourd'hui un inconnu. Alors que d'autres physiciens de la même
époque comme Wilhelm Röntgen, Pierre et Marie Curie
ou d'autres sont à l'honneur: billets de banque, noms d'écoles,
d'instituts, de rues, commémoration du centenaire de leurs découvertes,
films et documentaires relatant leur existence, fictions même parfois...
D'ailleurs, ces hagiographies sont
en fait peu crédibles: cent ans aprés, la réalité
est bien plus floue que ce que nous nous en représentons. Le caractère
prêté à Marie Curie dans le film "Les
palmes de Monsieur Schutz", s'il est un ressort théâtral
de premier plan, reste hypothétique. Röntgen n'était
peut-être pas l'inventeur des rayons X, mais un certain Puluj.
Et Edison était-il un odieux capitaliste ? Ainsi, l'histoire
des découvertes scientifiques elle même reste, cent ans plus
tard sujette à caution et l'image des grands découvreurs
comme les Curie, Pasteur, Darwin et tant d'autres,
pourrait n'être que celle de héros sociaux coulés dans
une statue hiératique qui en fait ne leur convient point.
A la fin de cette histoire, il parait
important de rappeler qu'inventions, découvertes ou avancées
scientifiques sont le fruit de l'effort combiné d'un ensemble de
personnes, de travaux théoriques et pratiques, et de la conjonction
d'efforts acharnés, de hasards heureux, de compétitions entre
différents laboratoires: le gagnant a les honneurs et le perdant
est jeté aux oubliettes. Dans le cas de la T.S.F., c'est bien sûr
Marconi
le héros de l'aventure de la radio. Les autres scientifiques qui
ont participé n'ont pas eu le droit à l'honneur international,
mais conservent dans l'ensemble une gloire nationale bien méritée.
Ferdinand Braun, allemand en Alsace, dans une région tantôt
allemande, tantôt française, reçoit le sort de l'apatride,
héros sans pays. Seule la ville qui l'a vu naître, Fulda,
et quelques autres villes allemandes célèbrent encore la
mémoire de ce scientifique méconnu.
Tube de Braun
Fin du texte de la brochure "Ferdinand Braun: itinéraire d'un Nobel cathodique"
Texte de Georges Frick
et François Mauviard