LES ONDES ET LE PROFESSEUR





Ferdinand Braun a déjà d'autres projets en vue. Ces projets proviennent surtout, il faut bien le dire, d'un hasard heureux. Pratiquement dès son arrivée à Strasbourg, il est contacté par des investisseurs pour étudier un système de télégraphie dans l'eau que de jeunes ingénieurs essayaient de mettre au point. La question que se posaient ces financiers était simple: l'application de ce brevet pour la télégraphie est-elle potentiellement rentable ? La réponse que fit l'expert Braun n'est pas connue, mais l'effet de cette étude sur sa vie scientifique future l'est beaucoup plus.

A partir des plans, et en essayant le dispositif proposé par les ingénieurs, Ferdinand Braun se rend compte qu'il fonctionne médiocrement. Des essais répétés avec des dispositifs expérimentaux différents et variés lui montrent que cela peut marcher mieux, surtout en utilisant le courant alternatif de la ville de Strasbourg, et en utilisant un circuit accordé au lieu d'un système à étincelles du type Hertz ou Marconi.

Ce système de télégraphie dans l'eau n'eut aucune suite, mais l'émetteur-récepteur que Braun développe par la suite pour la télégraphie sans fil est basé sur les mêmes principes. En ce temps, il existait une pression et une compétition colossale dans ce domaine. Les ficelles de la création industrielle, de la création des brevets et de la diffusion de la haute technologie n'étaient pas inconnues du professeur puisqu'il était déjà partenaire industriel pour des appareils de mesure. Il continue à développer la télégra-   phie sans fil et réalise une première dans la mer du Nord, à Cuxhaven en 1899, couvrant une distance de 62 km.
 
 


F. Braun (debout, au second plan) lors des essais à Cuxhaven





Se lançant alors dans la bagarre, il travaille jusqu'à la fin de sa vie sur les techniques de la télégraphie sans fil. En face de lui, d'autre personnes partagent le même rêve: utiliser les ondes hertziennes pour communiquer à distance. Ils sont inventeurs, physiciens renommés, théoriciens: ils ont créé avec Ferdinand Braun nos moyens actuels de communication.

Il est amusant de séparer ce petit monde en deux familles: ceux qui connaissent Maxwell et les ondes éléctromagnétiques, et ceux qui ne sont pas physiciens mais plutôt inventeurs, esprits synthétiques, aventuriers des techniques. A quelques professeurs de physique près, personne en 1894 (date de la première transmission de télégraphie sans fil) ne connaissait ou manipulait avec quelque brio les équations de Maxwell permettant de caractériser les ondes radio dans le monde des inventeurs de la T.S.F. Tout s'est passé comme si ces équations n'étaient pas nécessaires à l'invention. Dans la réalité les choses se passent tout à fait autrement: les théoriciens ont été les premiers  à avoir l'idée de la radiotélégraphie, à mettre au point tous les éléments séparés qui permettent à une transmission de se produire, et surtout à enseigner la radiotélégraphie dans le monde, ce qui lui a permis un essor rapide.
 

Les théoriciens

Maxwell ( 1831-1879) est le maître. Il a écrit en 1873 les quatre équations qui régissent et unifient les phénomènes électriques et magnétiques. Il décrit également la lumière comme un phénomène ondulatoire à la fois électrique et magnétique, et prévoit que d'autres phénomènes ondulatoires de même nature se produisent dans la nature, qu'il convient de les chercher... et de les trouver. Père de l'électricité reformulée, il est difficile à lire; ses équations seront réécrites durant les années suivantes par l'anglais Heaviside. Albert Einstein dira plus tard qu' "avec Maxwell, une nouvelle ère scientifique s'est ouverte".
C'est dire l'importance du bonhomme.
Son oeuvre fut diffusée en Allemagne par Hertz (1857-1894). Ce dernier avait été assistant de Helmholtz comme Ferdinand Braun. Nommé à Karlsruhe, il mit en évidence en 1886, d'autres ondes électromagnétiques que la lumière, dont l'existence était prévue par les équations de Maxwell. Sa découverte eut des retombées extrêmement nombreuses; en particulier, Hertz a montré un moyen de production d'ondes électromagnétiques appelé éclateur. Il applique à deux petites boules placées très près l'une de l'autre une très forte tension électrique, ce qui produit des étincelles. C'est ce système qui est utilisé par les chercheurs en radiotélégraphie de la fin du siècle comme source pour l'émetteur.
Le français Branly (1844-1940) est comme Braun un pur professeur. Il invente le cohéreur (1890), mais est peu intéressé aux applications de radiotélégraphie. Ce qui l'intéresse plutôt, c'est le moyen de faire de l'action à distance: il n'est personne d'autre que l'inventeur de la télécommande sans fil.
 

Les praticiens

Siemens (1816-1892) est un autodidacte en science, un des inventeurs du télégraphe, ancien officier du génie dans l'armée prussienne. Il est devenu un homme de brevets, un fondateur d'entreprises capitalistes et il a porté le renom de la technique allemande au plus haut. En plus du télégraphe et des lignes, il a développé et industrialisé les générateurs et les moteurs électriques ainsi que le transport électrique (tramway). Il était un "inventeur" génial.

L'anglais Lodge (1851-1940) fut le premier à réaliser une transmission d'un signal de part et d'autre d'un mur à la Royal Society de Londres (portée d'environ 150 mètres). Ce n'était pas un signal porteur de message, mais une expérience. L'émetteur était constitué principalement d'un éclateur produisant des étincelles, et, de ce fait des ondes radio. Le récepteur était constitué d'un cohéreur de Branly, sensible aux ondes, et d'un petit ampèremètre qui permettait d'observer la variation de la conduction du cohéreur. A la fin de 1894, et après avoir lu les travaux de Popov, il utilise le même dispositif, en lui ajoutant une antenne, et atteint 800 mètres.

Le russe Popov (1859-1906) a inventé un dispositif pour détecter la foudre utilisant une antenne, mais il a joué un grand rôle dans le développement ultérieur de la T.S.F. Aprés les expériences de Lodge, Popov ajoute à ce montage un relais de sonnerie qui rend résistant le cohéreur de Branly stimulé par une onde radio. L'avantage majeur de ce système est qu'il émet un bruit lorsqu'il reçoit un signal. De plus, le relais peut également être branché à un enregistreur Morse. Le 24 mars 1896, il fait une démonstration devant la Société Russe de Physique et de Chimie: c'est la première transmission radiotélégraphique de l'histoire puisque Popov transmet un message ayant un sens sur une distance d'environ un kilomètre.

C'est l'italien Marconi (1874-1937) qui est considéré comme le véritable "inventeur" de la télégraphie sans fil. Il a reçu, conjointement à Ferdinand Braun, le prix Nobel pour ses travaux. Il se lance dans la bagarre de la T.S.F. dès 1895 avec détermination et développe des appareils de plus en plus perfectionnés qui lui permettent d'augmenter rapidement la distance entre l'émetteur et le récepteur. Ainsi, il établira la première transmission télégraphique entre l'Angleterre et la France (46 km le 25 mars 1899). Il montrera que la T.S.F. peut être utile pour les journalistes en couvrant en 1899 l'America's Cup pour le compte du New York Herald. En juillet 1899, son système assure la communication entre deux croiseurs britanniques sur une distance de 130 km. Marconi est un ingénieur inventif qui possède ce qui manque aux autres: l'esprit d'entreprise. Cet état d'esprit lui permet de monter une société, de déposer des brevets qui protègent ses montages électriques, d'utiliser les procédés de Hertz, de Branly ou de Braun (aujourd'hui, on parle de "transfert de technologie") et de médiatiser ses réussites devant un public curieux d'industriels et de financiers.
 
 

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